Je me baladais dans Ubud,
lorsqu’un jeune commerçant sur le palier dans sa boutique m’interpelle quand je
passe devant lui. Il me dit : « Aujourd’hui, c’est un jour
spécial. Il y a une crémation publique. C’est assez rare. Ça serait intéressant
pour toi de voir ça je pense ».
Je ne sais pas pourquoi cet homme
là m’a confié ça, mais voici l’opportunité de voir une cérémonie funéraire et
d’avoir un aperçu du culte des morts à Bali, composante importante de toute
culture… même si c’est un peu glauque !
La religion à Bali est
l’hindouisme. L’Islam n’a pas réussi à s’étendre jusqu’à Bali. Toute
l’Indonésie est musulmane sauf Bali. Par contre, l’hindouisme pratiqué à Bali
est différent de celui d’Inde. Les balinais vénèrent quand même les 3
principales divinités de l’hindouisme (Brahma, Vishnou et Shiva), mais en plus
leur hindouisme est animiste : toute chose a une âme (c’est un peu comme
le shintoïsme japonais : ils peuvent vénérer une montagne, une rivière…).
Pour les balinais, l’âme est prisonnière du
corps lorsque celui-ci meurt. Il faut la libérer pour qu’elle puisse accéder à
un monde supérieur, puis renaître sous une autre forme. Les balinais croient en
la force purificatrice du feu et de l’eau. Ainsi, pour libérer l’âme du corps,
il faut incinérer le corps, et disperser les cendres dans l’eau (mer ou
rivière).
Comme les crémations sont chères
pour les familles (car elles font beaucoup d’offrandes pour satisfaire les
dieux), elles sont souvent regroupées le même
jour. Ainsi, il peut y avoir 20 corps incinérés d’un coup. En attendant
d’être incinérés, les corps sont inhumés, puis déterrés pour la crémation.
Certains corps peuvent attendre plusieurs années avant d’être brûlés. Il ne
reste alors plus que les os à brûler. Cependant, lorsque la personne décédée
était assez aisée, il peut alors y avoir une crémation individuelle, mais
toujours publique (le village est convié). C’est la cérémonie à laquelle j’ai
pu assister.
Par décence envers les personnes
présentes, je n’ai pas pris de photos ! J’étais le seul étranger de la
cérémonie, habillé en bakpacker, face à plusieurs dizaines de balinais en
costume traditionnel. Je ne me voyais pas sortir l’appareil photo… donc place
au texte !
Voici donc l’histoire :
Juste après avoir discuté avec le
commerçant, je pars manger un bout au resto, puis je vais louer un scooter pour
l’après-midi (2,5€ !), car la crémation a lieu hors de la ville. Une fois
sur mon scooter, je retourne à la boutique du commerçant pour avoir plus
d’information sur le lieu, car je n’ai pas de carte. Le commerçant n’était plus
là, mais son collègue me renseigne, et me donne le nom du village en
m’expliquant en gros comment y aller. La crémation avait lieu à 14h00, à 5 ou 6
km de la ville.
Je pars donc à la recherche de ce
village. Je demande ma route à droite à gauche, puis arrive finalement au
lieu-dit en temps et en heure. Le lieu est une sorte de champ au bord de la route,
avec quelques pierres tombales dedans, juste devant un temple, comme on en voit
beaucoup à Bali. A ce moment-là, seule une vingtaine de femme est présente,
discutant, avec un ou deux gars préparant les lieux. Elles sont vêtues d’habits
traditionnels (le sarong autour de la taille…). Un des hommes vient me voir. Je
lui explique que j’ai entendu parler d’une crémation publique. Il me dit que je
suis le bienvenu !
J’attends bien une demi-heure.
Pendant ce temps, les femmes préparaient des paniers d’offrandes
(essentiellement des fruits). Tout d’un coup, je vois un cortège qui arrive
avec tous les hommes, peut-être une quarantaine, et à la tête du cortège,
quelques hommes portant à l’épaule une sorte de brancard fait de bambou,
surmonté d’une sorte de toit. Ils appellent ça « la tour ». Et qui
vois-je porter le brancard ? Le commerçant de ce matin ! Voilà
pourquoi il n’était plus à la boutique. Sur le brancard se trouvait la
dépouille à incinérer, enroulée dans des linges blancs. Les hommes chantaient
des sortes d’incantations. Lorsqu’ils arrivent sur le lieu de crémation, ils
déposent la dépouille sur le « système de crémation », et le brancard
juste à côté.
Le « système de
crémation » est très rustique, home-made : une feuille de tôle au
sol, et deux feuilles de tôle verticales, reliées par des tiges en fer, servant
en quelque sorte de lattes pour poser la dépouille dessus.
Une fois la dépouille mise en
place sur ces lattes métalliques, entre les deux feuilles de tôle, nous
attendons un peu. Alors arrive un homme tout de blanc vêtu. C’est le maître de
cérémonie. Il ouvre le drap au niveau de la tête de la dépouille. Il y a
plusieurs épaisseurs. Entre, se trouvent des pétales de fleurs. C’est pour
éloigner les mauvais esprits. Le maître de cérémonie récite alors des
incantations, et asperge avec ses doigts de l’eau principalement sur la tête de
la dépouille (surement de l’eau sacrée… ou peut-être de l’essence, ça part
mieux !).
Après ceci, deux personnes
mettent en place le matos. Le matos, ce sont deux perches métalliques qu’ils
plantent dans la terre, et qui serviront de support aux deux gros lance-flammes
qu’ils installent dessus ! Ils positionnent les lance-flammes au niveau de
la tête de la dépouille.
Une fois tout ceci installé, ils
allument les lance-flammes à l’aide de bâtons d’encens. Et c’est parti… pour au
moins trois quart d’heure ! Pendant ce temps-là, les gens discutent entre
eux. Ce n’est pas triste du tout. Les gens rigolent. Il y a même un jeune
vendeur de glace qui vient à la cérémonie pour faire son business, sur sa moto
aménagée en glacière… et il a du succès ! Les deux personnes qui
s’occupent de la crémation ajustent régulièrement les lance-flammes afin
d’optimiser la chauffe.
Au fur et à mesure que le corps
se consume, ils enlèvent une à une les tiges métalliques reliant les deux
tôles. A la fin, il ne reste plus rien. Pour les balinais, il faut
obligatoirement que tout le corps soit incinéré pour permettre à l’âme de
s’échapper. Après avoir retiré toutes les tiges, ils font tomber les deux
feuilles de tôle verticales. A ce moment les gens se regroupent autour du tas
de cendre. Le maître de cérémonie asperge d’eau les cendres tout en chantant.
Je pense que ceci sert aussi à éviter que les cendres s’envolent. Alors, tout
le monde ramassent les cendres et les morceaux pour les mettre dans un
récipient… ou réceptacle si l’on veut !
Pendant ce temps, les
lance-flammes sont installés juste à côté pour brûler le brancard qui portait
auparavant la dépouille. Ce qui est intriguant, c’est que c’est à ce moment-là
où toutes les femmes jettent leurs offrandes dans le feu du brancard. Les
offrandes ne sont pas brûlées avec la dépouille, mais à côté avec son brancard…
Le commerçant me voit et vient me
parler. Il connaissait bien la personne incinérée. Il me dit qu’il lui avait
promis de porter sa dépouille à sa mort. Il était très content que je sois
venu, et qu’il put partager un peu de sa culture avec moi.
A la fin, tout le monde se réunit
autour du temple pour des incantations. Les cendres seront jetées dans la mer.
Ce fût une expérience peu
commune, très intéressante, mais quelque peu troublante. Ça fait se poser pas
mal de questions lorsque l’on voit un corps arriver, et quelques instants
après, disparaître… et encore, je ne le connaissais pas. Voir disparaître un
être que l’on a connu de cette manière-là doit être un moment très
intense ! Mais je pense qu’il ne faut pas dissocier le rite de la
croyance. Si l’on prend la crémation seule : ça fait peur ! Si on la
rattache à leur croyance : l’évènement n’est plus vécu de la même façon
(pour eux !). Ils voient ça comme une véritable libération. C’est sans
doute pour ça que les gens n’étaient pas si tristes.
Par contre, sans hésitation, ce
qui m’a le plus dégouté, c’est qu’à deux reprises, des taxis promenant des
touristes passaient au milieu des gens (la scène avait lieu au bord de la
route) et ralentissaient au niveau du bucher pour que les touristes prennent
des photos de la dépouille en feu…
Et pour ceux qui ne lisent que la
fin du message, et qui se demandent pourquoi il y a une dépouille en feu :
il faut lire le début ! ;-)
Merci POM d'avoir pris le temps de nous écrire tout ça pour partager cela avec nous. Super intéressant... Perso, j'ai lu du début à la fin! Effectivement, c'est une expérience particulière!
RépondreSupprimerBenoit
Super intéressant ! Je comprends que tu n'ai pas pris de photo mais tout ceci semble bien gravé dans ta mémoire. C'est chouette que tu puisses découvrir et partager pleinement les différentes cultures.
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