samedi 7 juillet 2012

Indonésie, le 4 Juillet 2012 : Le culte des morts balinais


Je me baladais dans Ubud, lorsqu’un jeune commerçant sur le palier dans sa boutique m’interpelle quand je passe devant lui. Il me dit : « Aujourd’hui, c’est un jour spécial. Il y a une crémation publique. C’est assez rare. Ça serait intéressant pour toi de voir ça je pense ».

Je ne sais pas pourquoi cet homme là m’a confié ça, mais voici l’opportunité de voir une cérémonie funéraire et d’avoir un aperçu du culte des morts à Bali, composante importante de toute culture… même si c’est un peu glauque !

La religion à Bali est l’hindouisme. L’Islam n’a pas réussi à s’étendre jusqu’à Bali. Toute l’Indonésie est musulmane sauf Bali. Par contre, l’hindouisme pratiqué à Bali est différent de celui d’Inde. Les balinais vénèrent quand même les 3 principales divinités de l’hindouisme (Brahma, Vishnou et Shiva), mais en plus leur hindouisme est animiste : toute chose a une âme (c’est un peu comme le shintoïsme japonais : ils peuvent vénérer une montagne, une rivière…).
Pour les balinais, l’âme est prisonnière du corps lorsque celui-ci meurt. Il faut la libérer pour qu’elle puisse accéder à un monde supérieur, puis renaître sous une autre forme. Les balinais croient en la force purificatrice du feu et de l’eau. Ainsi, pour libérer l’âme du corps, il faut incinérer le corps, et disperser les cendres dans l’eau (mer ou rivière).
Comme les crémations sont chères pour les familles (car elles font beaucoup d’offrandes pour satisfaire les dieux), elles sont souvent regroupées le même  jour. Ainsi, il peut y avoir 20 corps incinérés d’un coup. En attendant d’être incinérés, les corps sont inhumés, puis déterrés pour la crémation. Certains corps peuvent attendre plusieurs années avant d’être brûlés. Il ne reste alors plus que les os à brûler. Cependant, lorsque la personne décédée était assez aisée, il peut alors y avoir une crémation individuelle, mais toujours publique (le village est convié). C’est la cérémonie à laquelle j’ai pu assister.

Par décence envers les personnes présentes, je n’ai pas pris de photos ! J’étais le seul étranger de la cérémonie, habillé en bakpacker, face à plusieurs dizaines de balinais en costume traditionnel. Je ne me voyais pas sortir l’appareil photo… donc place au texte !

Voici donc l’histoire :

Juste après avoir discuté avec le commerçant, je pars manger un bout au resto, puis je vais louer un scooter pour l’après-midi (2,5€ !), car la crémation a lieu hors de la ville. Une fois sur mon scooter, je retourne à la boutique du commerçant pour avoir plus d’information sur le lieu, car je n’ai pas de carte. Le commerçant n’était plus là, mais son collègue me renseigne, et me donne le nom du village en m’expliquant en gros comment y aller. La crémation avait lieu à 14h00, à 5 ou 6 km de la ville.

Je pars donc à la recherche de ce village. Je demande ma route à droite à gauche, puis arrive finalement au lieu-dit en temps et en heure. Le lieu est une sorte de champ au bord de la route, avec quelques pierres tombales dedans, juste devant un temple, comme on en voit beaucoup à Bali. A ce moment-là, seule une vingtaine de femme est présente, discutant, avec un ou deux gars préparant les lieux. Elles sont vêtues d’habits traditionnels (le sarong autour de la taille…). Un des hommes vient me voir. Je lui explique que j’ai entendu parler d’une crémation publique. Il me dit que je suis le bienvenu !

J’attends bien une demi-heure. Pendant ce temps, les femmes préparaient des paniers d’offrandes (essentiellement des fruits). Tout d’un coup, je vois un cortège qui arrive avec tous les hommes, peut-être une quarantaine, et à la tête du cortège, quelques hommes portant à l’épaule une sorte de brancard fait de bambou, surmonté d’une sorte de toit. Ils appellent ça « la tour ». Et qui vois-je porter le brancard ? Le commerçant de ce matin ! Voilà pourquoi il n’était plus à la boutique. Sur le brancard se trouvait la dépouille à incinérer, enroulée dans des linges blancs. Les hommes chantaient des sortes d’incantations. Lorsqu’ils arrivent sur le lieu de crémation, ils déposent la dépouille sur le « système de crémation », et le brancard juste à côté.

Le « système de crémation » est très rustique, home-made : une feuille de tôle au sol, et deux feuilles de tôle verticales, reliées par des tiges en fer, servant en quelque sorte de lattes pour poser la dépouille dessus.
Une fois la dépouille mise en place sur ces lattes métalliques, entre les deux feuilles de tôle, nous attendons un peu. Alors arrive un homme tout de blanc vêtu. C’est le maître de cérémonie. Il ouvre le drap au niveau de la tête de la dépouille. Il y a plusieurs épaisseurs. Entre, se trouvent des pétales de fleurs. C’est pour éloigner les mauvais esprits. Le maître de cérémonie récite alors des incantations, et asperge avec ses doigts de l’eau principalement sur la tête de la dépouille (surement de l’eau sacrée… ou peut-être de l’essence, ça part mieux !).

Après ceci, deux personnes mettent en place le matos. Le matos, ce sont deux perches métalliques qu’ils plantent dans la terre, et qui serviront de support aux deux gros lance-flammes qu’ils installent dessus ! Ils positionnent les lance-flammes au niveau de la tête de la dépouille.

Une fois tout ceci installé, ils allument les lance-flammes à l’aide de bâtons d’encens. Et c’est parti… pour au moins trois quart d’heure ! Pendant ce temps-là, les gens discutent entre eux. Ce n’est pas triste du tout. Les gens rigolent. Il y a même un jeune vendeur de glace qui vient à la cérémonie pour faire son business, sur sa moto aménagée en glacière… et il a du succès ! Les deux personnes qui s’occupent de la crémation ajustent régulièrement les lance-flammes afin d’optimiser la chauffe.
Au fur et à mesure que le corps se consume, ils enlèvent une à une les tiges métalliques reliant les deux tôles. A la fin, il ne reste plus rien. Pour les balinais, il faut obligatoirement que tout le corps soit incinéré pour permettre à l’âme de s’échapper. Après avoir retiré toutes les tiges, ils font tomber les deux feuilles de tôle verticales. A ce moment les gens se regroupent autour du tas de cendre. Le maître de cérémonie asperge d’eau les cendres tout en chantant. Je pense que ceci sert aussi à éviter que les cendres s’envolent. Alors, tout le monde ramassent les cendres et les morceaux pour les mettre dans un récipient… ou réceptacle si l’on veut !

Pendant ce temps, les lance-flammes sont installés juste à côté pour brûler le brancard qui portait auparavant la dépouille. Ce qui est intriguant, c’est que c’est à ce moment-là où toutes les femmes jettent leurs offrandes dans le feu du brancard. Les offrandes ne sont pas brûlées avec la dépouille, mais à côté avec son brancard…

Le commerçant me voit et vient me parler. Il connaissait bien la personne incinérée. Il me dit qu’il lui avait promis de porter sa dépouille à sa mort. Il était très content que je sois venu, et qu’il put partager un peu de sa culture avec moi.

A la fin, tout le monde se réunit autour du temple pour des incantations. Les cendres seront jetées dans la mer.

Ce fût une expérience peu commune, très intéressante, mais quelque peu troublante. Ça fait se poser pas mal de questions lorsque l’on voit un corps arriver, et quelques instants après, disparaître… et encore, je ne le connaissais pas. Voir disparaître un être que l’on a connu de cette manière-là doit être un moment très intense ! Mais je pense qu’il ne faut pas dissocier le rite de la croyance. Si l’on prend la crémation seule : ça fait peur ! Si on la rattache à leur croyance : l’évènement n’est plus vécu de la même façon (pour eux !). Ils voient ça comme une véritable libération. C’est sans doute pour ça que les gens n’étaient pas si tristes.

Par contre, sans hésitation, ce qui m’a le plus dégouté, c’est qu’à deux reprises, des taxis promenant des touristes passaient au milieu des gens (la scène avait lieu au bord de la route) et ralentissaient au niveau du bucher pour que les touristes prennent des photos de la dépouille en feu…

Et pour ceux qui ne lisent que la fin du message, et qui se demandent pourquoi il y a une dépouille en feu : il faut lire le début ! ;-)

2 commentaires:

  1. Merci POM d'avoir pris le temps de nous écrire tout ça pour partager cela avec nous. Super intéressant... Perso, j'ai lu du début à la fin! Effectivement, c'est une expérience particulière!

    Benoit

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  2. Super intéressant ! Je comprends que tu n'ai pas pris de photo mais tout ceci semble bien gravé dans ta mémoire. C'est chouette que tu puisses découvrir et partager pleinement les différentes cultures.

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